Pourquoi l’esport peut grandir sans passer par les JO ?

Pierre Mercier
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esport jeux olympiques

À retenir

  • L’esport sĂ©duit un public plus jeune que les sports traditionnels, avec des Ă©vĂ©nements comme les Worlds de League of Legends qui attirent 6,94 millions de tĂ©lĂ©spectateurs.
  • L’accent mis par les Jeux olympiques sur les sports virtuels comme le tir Ă  l’arc, et non sur des titres populaires comme Counter-Strike, ne semble pas correspondre aux attentes des fans d’esport.
  • L’esport peut se vanter d’avoir des cagnottes Ă©normes, comme les 40 millions de dollars de The International, qui dĂ©passent le prestige des Jeux olympiques.
  • Les conflits de gouvernance reprĂ©sentent un obstacle majeur Ă  l’intĂ©gration de l’esport aux Jeux olympiques. Contrairement aux sports traditionnels rĂ©gis par des fĂ©dĂ©rations internationales, les disciplines esports appartiennent Ă  des Ă©diteurs privĂ©s, comme Riot Games ou Valve, qui conservent un contrĂŽle total sur leurs licences.
  • La rapiditĂ© d’évolution de l’esport entre en contradiction avec le rythme lent et institutionnel du mouvement olympique. LĂ  oĂč les jeux Ă©voluent en quelques mois, les JO fonctionnent sur des cycles de quatre ans.
  • L’inclusion de l’esport aux Jeux olympiques risquerait de diluer son identitĂ©. Entre les restrictions sur la violence, les contraintes liĂ©es Ă  l’image de marque, et le processus de sĂ©lection des titres, il y a un rĂ©el danger que les Jeux altĂšrent ce qui fait l’essence mĂȘme de l’esport : sa libertĂ©, son authenticitĂ©, et sa proximitĂ© avec la communautĂ©.

Les discussions autour de l’intĂ©gration de l’esport aux Jeux olympiques continuent de diviser la communautĂ© gaming. Pourtant, il est facile de comprendre pourquoi les organisations sportives traditionnelles s’y intĂ©ressent de plus en plus.

Les jeunes spectateurs se détournent des sports classiques, poussant le Comité international olympique (CIO) à chercher de nouvelles pistes pour rester pertinent.

Mais cette stratégie portera-t-elle vraiment ses fruits ?

Les jeux de simulation sportive, un choix qui divise la communauté esport

simulation sportive divise le monde esport simulation sportive divise le monde esport

La Semaine olympique esport Ă  Singapour en 2023 a mis en lumiĂšre le fait que le CIO prenait la culture du jeu au sĂ©rieux. Mais, au lieu de prĂ©senter les titres esports qui dominent Twitch et YouTube, comme League of Legends ou Counter-Strike, le CIO a prĂ©fĂ©rĂ© prĂ©senter une liste de jeux esports olympiques composĂ©e de simulations de « sports virtuels » comme le tir Ă  l’arc, le cyclisme, le tennis, la voile et le baseball.

La diffĂ©rence n’a pas Ă©chappĂ© Ă  la communautĂ© esport, peu enthousiasmĂ©e par le retour du secteur dans l’univers olympique rappelant davantage l’ùre analogique du Commodore 64 que l’univers compĂ©titif actuel.

Aux yeux de beaucoup, le CIO a paru dĂ©connectĂ©, en proposant une formule de simulations sportives perçue comme un Ă©vĂ©nement aseptisĂ©, une sorte de « gaming light » loin de l’intensitĂ© et de l’authenticitĂ© des vĂ©ritables compĂ©titions esport.

MalgrĂ© les critiques, la Semaine olympique de l’esport a Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme un succĂšs. Les dirigeants du CIO n’ont d’ailleurs pas tardĂ© Ă  annoncer leur ambition de crĂ©er de vĂ©ritables Jeux olympiques esports, avec une premiĂšre Ă©dition prĂ©vue en Arabie saoudite en 2025, montrant ainsi leur volontĂ© de concrĂ©tiser le projet.

L’Ă©vĂ©nement a depuis Ă©tĂ© reportĂ© Ă  2027, citant le manque de dĂ©tails des Ă©diteurs de jeux sur le programme. Une fois de plus, de nombreux joueurs se sont demandĂ©s si l’esport avait besoin d’une reconnaissance olympique. Ou ne serait-ce pas l’inverse ?

Jeux olympiques vs esport : qui a vraiment besoin de l’autre ?

esport a t-il besoin des JO esport a t-il besoin des JO

Selon les donnĂ©es de Gallup, l’intĂ©rĂȘt des adultes pour les Jeux olympiques est tombĂ© Ă  35 %, son plus bas niveau depuis les annĂ©es 1980.

En revanche, l’esport continue de prospĂ©rer. Le championnat du monde 2024 de League of Legends a attirĂ© un nombre record de 6,94 millions de tĂ©lĂ©spectateurs simultanĂ©s. Mobile Legends, VALORANT et Counter-Strike 2 sont des Ă©cosystĂšmes florissants qui attirent des dizaines de millions de fans dans le monde entier. Sans oublier que l’Ăąge moyen d’un fan d’esports est d’environ 33 ans.

Le CIO a vu l’intĂ©rĂȘt pour l’esport augmenter alors que l’audience des Jeux olympiques continue de baisser. Il en va de mĂȘme pour les sponsors. Des marques comme Coca-Cola, T-Mobile et Intel, qui ont dĂ©jĂ  de solides partenariats esports, sont impatientes de trouver de nouveaux moyens de s’engager auprĂšs des moins de 30 ans.

Pour le CIO, l’esport semble ĂȘtre une porte d’entrĂ©e irrĂ©sistible vers une nouvelle pertinence. Cependant, pour l’esport lui-mĂȘme, la question n’est pas seulement celle de l’exposition. C’est une question d’identitĂ©.

La raison la plus convaincante pour laquelle l’esport devrait rester Ă  l’Ă©cart des Jeux olympiques est simple. Il a dĂ©jĂ  prouvĂ© qu’il pouvait rĂ©ussir par lui-mĂȘme. Des tournois comme The International pour Dota 2 et Worlds pour League of Legends offrent des cagnottes et un prestige qui Ă©clipsent tout ce qu’une mĂ©daille olympique pourrait offrir.

Par exemple, la 10e Ă©dition de l’International de Dota 2 s’est targuĂ©e de proposer une cagnotte de plus de 40 millions de dollars.

Ce sont des trophĂ©es que les fans et les joueurs rĂȘvent de dĂ©crocher. Posez la question Ă  un pro de League of Legends : qu’est-ce qui compte le plus, la Summoner’s Cup ou une mĂ©daille d’or olympique ?

Quand vous remplissez des stades, que vous dominez les plateformes de streaming et que vous signez des contrats de sponsoring Ă  l’échelle mondiale, la validation olympique n’est peut-ĂȘtre pas si essentielle.

L’esport a bĂąti son propre Ă©cosystĂšme sans l’appui des instances sportives traditionnelles – et ce succĂšs auto-construit est au cƓur de son identitĂ©.

Esport et JO : deux visions du sport qui s’opposent

esport et Jo : deux philosophies différentes esport et Jo : deux philosophies différentes

En creusant un peu, on comprend mieux pourquoi une alliance entre l’esport et les Jeux olympiques peut ĂȘtre gĂȘnante.

đŸ‘„La gouvernance

Tout d’abord, il y a la question de la gouvernance. Chaque discipline esport est un produit dĂ©tenu et contrĂŽlĂ© par une entreprise privĂ©e. Riot Games possĂšde League of Legends, tandis que Valve dĂ©tient Counter-Strike et Dota.

Contrairement aux sports traditionnels, il n’existe pas de fĂ©dĂ©ration mondiale supervisant plusieurs jeux. Le CIO, lui, a toujours eu l’habitude de collaborer avec des instances fĂ©dĂ©rales, pas avec des Ă©diteurs de jeux aux logiques commerciales.

👊La violence

DeuxiĂšmement, il y a le contenu. La plupart des jeux qui font la popularitĂ© de l’esport sont construits autour du combat. VALORANT, Counter-Strike et Dota 2 impliquent de vaincre des adversaires par la « violence » dans un contexte de jeu.

Or, cela ne cadre pas avec les valeurs du mouvement olympique, qui s’est toujours montrĂ© fermĂ© Ă  toute forme de reprĂ©sentation violente, mĂȘme fictive.

📈Une Ă©volution rapide

TroisiĂšmement, il y a le rythme du changement. L’esport Ă©volue Ă  grande vitesse : de nouveaux jeux Ă©mergent constamment pendant que d’autres tombent dans l’oubli. À l’inverse, le processus olympique avance Ă  un rythme beaucoup plus lent. En effet, ajouter ou retirer un sport peut prendre des dĂ©cennies.

Le CIO serait-il capable de s’adapter au rythme effrĂ©nĂ© de la culture du jeu vidĂ©o ? La question mĂ©rite d’ĂȘtre posĂ©e, surtout quand on se souvient qu’il a intĂ©grĂ© le breakdance aux Jeux olympiques avec
 quarante ans de retard.

📍Le branding

Enfin, il y a la question de l’image de marque ou branding. L’esport s’épanouit dans un environnement oĂč les partenariats commerciaux sont omniprĂ©sents : les sponsors s’affichent Ă  chaque Ă©vĂ©nement, les joueurs portent des logos, et les streams regorgent d’intĂ©grations de marques.

À l’inverse, les Jeux olympiques imposent des rĂšgles strictes qui encadrent fortement l’exposition commerciale pendant la compĂ©tition. Ce choc des cultures pourrait suffire Ă  transformer l’esport olympique en une version aseptisĂ©e, bien loin de ce qui fait vibrer les fans.

Les fans ne demandent pas de médailles olympiques

fan esport dit non à la médaille olympique fan esport dit non à la médaille olympique

Le verdict le plus clair vient de la communautĂ© elle-mĂȘme. Lorsque le CIO a dĂ©voilĂ© le programme de la Semaine olympique de l’esport, avec des titres comme Tic Tac Bow ou Just Dance, la rĂ©action des fans a Ă©tĂ© immĂ©diate : ils n’ont pas Ă©tĂ© impressionnĂ©s.

Un utilisateur de Reddit a parfaitement résumé le sentiment général :

« Nous sommes en 2024. L’esport est dĂ©jĂ  partout. On n’a pas besoin de l’approbation des Jeux olympiques. »

MĂȘme les joueurs ont rĂ©agi tiĂšdement Ă  l’idĂ©e. Bien sĂ»r, certains expriment un intĂ©rĂȘt poli lorsqu’on leur pose la question. Qui ne serait pas honorĂ© de reprĂ©senter son pays ? Mais leurs objectifs immĂ©diats sont ailleurs, comme les Worlds, les International et le VALORANT Champions Tour.

Au final, le meilleur compĂ©titeur sera-t-il capable de renoncer Ă  un titre de plusieurs millions de dollars pour tenter de dĂ©crocher une mĂ©daille d’or dans une version olympique Ă©dulcorĂ©e de son sport ?

L’inclusion olympique : Une arme Ă  double tranchant

inclusion olympique inclusion olympique

D’un point de vue optimiste, l’intĂ©gration de l’esport aux Jeux olympiques pourrait encourager les gouvernements Ă  investir davantage dans les infrastructures dĂ©diĂ©es, ou inciter les sceptiques et gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es Ă  s’y intĂ©resser. Voir des athlĂštes esport monter sur un podium, mĂ©dailles au cou, a mĂȘme quelque chose de rassurant.

Mais le prix de cette reconnaissance pourrait ĂȘtre trop Ă©levĂ©.

Les Ă©quipes pourraient ĂȘtre aseptisĂ©es pour rĂ©pondre aux standards olympiques. Des jeux populaires risqueraient d’ĂȘtre exclus. Les formats compĂ©titifs pourraient ĂȘtre modifiĂ©s. Et les modĂšles Ă©conomiques drastiquement restreints.

Ironiquement, en essayant de se conformer aux attentes olympiques, l’esport risque de perdre l’authenticitĂ© qui a fait son succĂšs au dĂ©part.

Or, aujourd’hui, l’esport n’est pas en crise – il est en pleine ascension. Il remplit les stades, crĂ©e ses propres hĂ©ros et façonne la culture pop, le tout en imposant ses propres codes.

Les Jeux olympiques offrent peut-ĂȘtre du prestige mondial, mais l’esport attire dĂ©jĂ  un public international. Quand les JO promettent des mĂ©dailles, l’esport, lui, cĂ©lĂšbre des titres qui ont du sens au sein de sa propre culture.

Alors faut-il vraiment intĂ©grer l’esport dans une institution centenaire, pensĂ©e pour un monde qui ne lui ressemble pas ?

Pourquoi chercher la lĂ©gitimitĂ© ailleurs
 quand on l’a dĂ©jĂ  construite soi-mĂȘme ?

Conclusion

Le ComitĂ© international olympique ne se trompe pas en reconnaissant la valeur de l’esport. C’est dans les jeux vidĂ©o que la nouvelle gĂ©nĂ©ration vit, crĂ©e et respire. Il est naturel de vouloir combler le vide. Mais cette alliance doit ĂȘtre construite avec soin, en respectant ce que l’esport est dĂ©jĂ  devenu.

L’esport n’a pas besoin des Jeux olympiques pour exister, ni pour ĂȘtre reconnu. Il l’a dĂ©jĂ  prouvĂ©. À chaque arĂšne pleine, Ă  chaque stream qui bat des records, Ă  chaque finale qui fait vibrer la planĂšte.

Ce sont les joueurs, les fans et les communautĂ©s qui Ă©crivent l’histoire. Et si les JO veulent les accompagner, sans les dĂ©naturer, alors ce sera une belle opportunitĂ©.

Mais s’il faut changer l’esport pour qu’il se formate Ă  la sausce Jeux Olympiques, alors le gaming s’y opposera. L’esport peut continuer sans mĂ©daille, tant qu’il avance avec sa libertĂ© intacte.

FAQ

L’esport fera-il un jour partie des Jeux olympiques ?

MĂȘme si l’acceptation par le grand public prendra du temps, le lancement des premiers Jeux olympiques d’esport en 2027 laisse penser que l’inclusion complĂšte des esports aux Jeux olympiques est inĂ©vitable.

Quels sont les jeux esport présents aux Jeux olympiques ?

La liste complĂšte des jeux pour les Jeux olympiques d’esports n’a pas encore Ă©tĂ© confirmĂ©e. La simulation de course devrait ĂȘtre incluse aux cĂŽtĂ©s de titres potentiels de simulation sportive comme le tir Ă  l’arc, le cyclisme, la danse et le tennis. Toutefois, l’absence de jeux compĂ©titifs populaires continue de susciter des inquiĂ©tudes au sein de la communautĂ© esport. EspĂ©rons que cela changera.

League of Legends fait-il partie des Jeux olympiques ?

League of Legends n’est actuellement pas inclus dans les Jeux olympiques ou les Jeux olympiques d’esport de 2027, bien que des discussions soient en cours entre Riot Games et les dirigeants olympiques au sujet d’une future inclusion.

Dota 2 fait-il partie des Jeux olympiques ?

Dota 2 ne fait pas partie des Jeux olympiques, ni des initiatives comme les Jeux olympiques de l’esport, principalement en raison de son contenu jugĂ© trop violent et de l’absence d’une instance internationale unifiĂ©e pour en encadrer la pratique. Cependant, le jeu a tout de mĂȘme Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme discipline mĂ©daillĂ©e lors des Jeux asiatiques.

Références

  1. https://www.olympics.com/en/esports/olympic-esports-week/ (Olympics)
  2. https://news.gallup.com/poll/647771/summer-olympics-poised-record-low-viewership.aspx (Gallup)
  3. https://escharts.com/news/2024-league-legends-worlds-record (Esports Charts)
  4. https://www.espn.com/gaming/story/_/id/30079945/dota-2-international-surpasses-40-million-prize-money (ESPN)
Ancien joueur sur StarCraft II, j’ai troquĂ© les matchs ladder pour l’analyse Ă  froid du monde gaming et e-sport. Ce qui m’anime ? Les stratĂ©gies ultra poussĂ©es, les mĂ©caniques bien pensĂ©es, et les setups qui brillent autant que les skills. J’écris comme je jouais : avec prĂ©cision, un peu d’obsession, et toujours cette envie de comprendre ce qui fait gagner.