Ă retenir
- L’esport sĂ©duit un public plus jeune que les sports traditionnels, avec des Ă©vĂ©nements comme les Worlds de League of Legends qui attirent 6,94 millions de tĂ©lĂ©spectateurs.
- L’accent mis par les Jeux olympiques sur les sports virtuels comme le tir Ă l’arc, et non sur des titres populaires comme Counter-Strike, ne semble pas correspondre aux attentes des fans d’esport.
- L’esport peut se vanter d’avoir des cagnottes Ă©normes, comme les 40 millions de dollars de The International, qui dĂ©passent le prestige des Jeux olympiques.
- Les conflits de gouvernance reprĂ©sentent un obstacle majeur Ă lâintĂ©gration de lâesport aux Jeux olympiques. Contrairement aux sports traditionnels rĂ©gis par des fĂ©dĂ©rations internationales, les disciplines esports appartiennent Ă des Ă©diteurs privĂ©s, comme Riot Games ou Valve, qui conservent un contrĂŽle total sur leurs licences.
- La rapiditĂ© dâĂ©volution de lâesport entre en contradiction avec le rythme lent et institutionnel du mouvement olympique. LĂ oĂč les jeux Ă©voluent en quelques mois, les JO fonctionnent sur des cycles de quatre ans.
- Lâinclusion de lâesport aux Jeux olympiques risquerait de diluer son identitĂ©. Entre les restrictions sur la violence, les contraintes liĂ©es Ă lâimage de marque, et le processus de sĂ©lection des titres, il y a un rĂ©el danger que les Jeux altĂšrent ce qui fait lâessence mĂȘme de lâesport : sa libertĂ©, son authenticitĂ©, et sa proximitĂ© avec la communautĂ©.
Les discussions autour de lâintĂ©gration de lâesport aux Jeux olympiques continuent de diviser la communautĂ© gaming. Pourtant, il est facile de comprendre pourquoi les organisations sportives traditionnelles sây intĂ©ressent de plus en plus.
Les jeunes spectateurs se détournent des sports classiques, poussant le Comité international olympique (CIO) à chercher de nouvelles pistes pour rester pertinent.
Mais cette stratégie portera-t-elle vraiment ses fruits ?
Les jeux de simulation sportive, un choix qui divise la communauté esport
La Semaine olympique esport Ă Singapour en 2023 a mis en lumiĂšre le fait que le CIO prenait la culture du jeu au sĂ©rieux. Mais, au lieu de prĂ©senter les titres esports qui dominent Twitch et YouTube, comme League of Legends ou Counter-Strike, le CIO a prĂ©fĂ©rĂ© prĂ©senter une liste de jeux esports olympiques composĂ©e de simulations de « sports virtuels » comme le tir Ă l’arc, le cyclisme, le tennis, la voile et le baseball.
La diffĂ©rence nâa pas Ă©chappĂ© Ă la communautĂ© esport, peu enthousiasmĂ©e par le retour du secteur dans l’univers olympique rappelant davantage lâĂšre analogique du Commodore 64 que lâunivers compĂ©titif actuel.
Aux yeux de beaucoup, le CIO a paru dĂ©connectĂ©, en proposant une formule de simulations sportives perçue comme un Ă©vĂ©nement aseptisĂ©, une sorte de « gaming light » loin de lâintensitĂ© et de lâauthenticitĂ© des vĂ©ritables compĂ©titions esport.
MalgrĂ© les critiques, la Semaine olympique de lâesport a Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme un succĂšs. Les dirigeants du CIO nâont dâailleurs pas tardĂ© Ă annoncer leur ambition de crĂ©er de vĂ©ritables Jeux olympiques esports, avec une premiĂšre Ă©dition prĂ©vue en Arabie saoudite en 2025, montrant ainsi leur volontĂ© de concrĂ©tiser le projet.
L’Ă©vĂ©nement a depuis Ă©tĂ© reportĂ© Ă 2027, citant le manque de dĂ©tails des Ă©diteurs de jeux sur le programme. Une fois de plus, de nombreux joueurs se sont demandĂ©s si l’esport avait besoin d’une reconnaissance olympique. Ou ne serait-ce pas l’inverse ?
Jeux olympiques vs esport : qui a vraiment besoin de lâautre ?
Selon les donnĂ©es de Gallup, lâintĂ©rĂȘt des adultes pour les Jeux olympiques est tombĂ© Ă 35 %, son plus bas niveau depuis les annĂ©es 1980.
En revanche, lâesport continue de prospĂ©rer. Le championnat du monde 2024 de League of Legends a attirĂ© un nombre record de 6,94 millions de tĂ©lĂ©spectateurs simultanĂ©s. Mobile Legends, VALORANT et Counter-Strike 2 sont des Ă©cosystĂšmes florissants qui attirent des dizaines de millions de fans dans le monde entier. Sans oublier que l’Ăąge moyen d’un fan d’esports est d’environ 33 ans.
Le CIO a vu l’intĂ©rĂȘt pour l’esport augmenter alors que l’audience des Jeux olympiques continue de baisser. Il en va de mĂȘme pour les sponsors. Des marques comme Coca-Cola, T-Mobile et Intel, qui ont dĂ©jĂ de solides partenariats esports, sont impatientes de trouver de nouveaux moyens de s’engager auprĂšs des moins de 30 ans.
Pour le CIO, l’esport semble ĂȘtre une porte d’entrĂ©e irrĂ©sistible vers une nouvelle pertinence. Cependant, pour lâesport lui-mĂȘme, la question n’est pas seulement celle de l’exposition. C’est une question d’identitĂ©.
La raison la plus convaincante pour laquelle l’esport devrait rester Ă l’Ă©cart des Jeux olympiques est simple. Il a dĂ©jĂ prouvĂ© quâil pouvait rĂ©ussir par lui-mĂȘme. Des tournois comme The International pour Dota 2 et Worlds pour League of Legends offrent des cagnottes et un prestige qui Ă©clipsent tout ce qu’une mĂ©daille olympique pourrait offrir.
Par exemple, la 10e Ă©dition de l’International de Dota 2 s’est targuĂ©e de proposer une cagnotte de plus de 40 millions de dollars.
Ce sont des trophĂ©es que les fans et les joueurs rĂȘvent de dĂ©crocher. Posez la question Ă un pro de League of Legends : quâest-ce qui compte le plus, la Summonerâs Cup ou une mĂ©daille dâor olympique ?
Quand vous remplissez des stades, que vous dominez les plateformes de streaming et que vous signez des contrats de sponsoring Ă lâĂ©chelle mondiale, la validation olympique nâest peut-ĂȘtre pas si essentielle.
Lâesport a bĂąti son propre Ă©cosystĂšme sans lâappui des instances sportives traditionnelles – et ce succĂšs auto-construit est au cĆur de son identitĂ©.
Esport et JO : deux visions du sport qui sâopposent
En creusant un peu, on comprend mieux pourquoi une alliance entre lâesport et les Jeux olympiques peut ĂȘtre gĂȘnante.
đ„La gouvernance
Tout dâabord, il y a la question de la gouvernance. Chaque discipline esport est un produit dĂ©tenu et contrĂŽlĂ© par une entreprise privĂ©e. Riot Games possĂšde League of Legends, tandis que Valve dĂ©tient Counter-Strike et Dota.
Contrairement aux sports traditionnels, il nâexiste pas de fĂ©dĂ©ration mondiale supervisant plusieurs jeux. Le CIO, lui, a toujours eu lâhabitude de collaborer avec des instances fĂ©dĂ©rales, pas avec des Ă©diteurs de jeux aux logiques commerciales.
đLa violence
DeuxiĂšmement, il y a le contenu. La plupart des jeux qui font la popularitĂ© de l’esport sont construits autour du combat. VALORANT, Counter-Strike et Dota 2 impliquent de vaincre des adversaires par la « violence » dans un contexte de jeu.
Or, cela ne cadre pas avec les valeurs du mouvement olympique, qui sâest toujours montrĂ© fermĂ© Ă toute forme de reprĂ©sentation violente, mĂȘme fictive.
đUne Ă©volution rapide
TroisiĂšmement, il y a le rythme du changement. Lâesport Ă©volue Ă grande vitesse : de nouveaux jeux Ă©mergent constamment pendant que dâautres tombent dans lâoubli. Ă lâinverse, le processus olympique avance Ă un rythme beaucoup plus lent. En effet, ajouter ou retirer un sport peut prendre des dĂ©cennies.
Le CIO serait-il capable de sâadapter au rythme effrĂ©nĂ© de la culture du jeu vidĂ©o ? La question mĂ©rite dâĂȘtre posĂ©e, surtout quand on se souvient quâil a intĂ©grĂ© le breakdance aux Jeux olympiques avec⊠quarante ans de retard.
đLe branding
Enfin, il y a la question de lâimage de marque ou branding. Lâesport sâĂ©panouit dans un environnement oĂč les partenariats commerciaux sont omniprĂ©sents : les sponsors sâaffichent Ă chaque Ă©vĂ©nement, les joueurs portent des logos, et les streams regorgent dâintĂ©grations de marques.
Ă lâinverse, les Jeux olympiques imposent des rĂšgles strictes qui encadrent fortement lâexposition commerciale pendant la compĂ©tition. Ce choc des cultures pourrait suffire Ă transformer lâesport olympique en une version aseptisĂ©e, bien loin de ce qui fait vibrer les fans.
Les fans ne demandent pas de médailles olympiques
Le verdict le plus clair vient de la communautĂ© elle-mĂȘme. Lorsque le CIO a dĂ©voilĂ© le programme de la Semaine olympique de lâesport, avec des titres comme Tic Tac Bow ou Just Dance, la rĂ©action des fans a Ă©tĂ© immĂ©diate : ils nâont pas Ă©tĂ© impressionnĂ©s.
Un utilisateur de Reddit a parfaitement résumé le sentiment général :
« Nous sommes en 2024. Lâesport est dĂ©jĂ partout. On nâa pas besoin de lâapprobation des Jeux olympiques. »
MĂȘme les joueurs ont rĂ©agi tiĂšdement Ă l’idĂ©e. Bien sĂ»r, certains expriment un intĂ©rĂȘt poli lorsqu’on leur pose la question. Qui ne serait pas honorĂ© de reprĂ©senter son pays ? Mais leurs objectifs immĂ©diats sont ailleurs, comme les Worlds, les International et le VALORANT Champions Tour.
Au final, le meilleur compĂ©titeur sera-t-il capable de renoncer Ă un titre de plusieurs millions de dollars pour tenter de dĂ©crocher une mĂ©daille d’or dans une version olympique Ă©dulcorĂ©e de son sport ?
L’inclusion olympique : Une arme Ă double tranchant
Dâun point de vue optimiste, lâintĂ©gration de lâesport aux Jeux olympiques pourrait encourager les gouvernements Ă investir davantage dans les infrastructures dĂ©diĂ©es, ou inciter les sceptiques et gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es Ă sây intĂ©resser. Voir des athlĂštes esport monter sur un podium, mĂ©dailles au cou, a mĂȘme quelque chose de rassurant.
Mais le prix de cette reconnaissance pourrait ĂȘtre trop Ă©levĂ©.
Les Ă©quipes pourraient ĂȘtre aseptisĂ©es pour rĂ©pondre aux standards olympiques. Des jeux populaires risqueraient dâĂȘtre exclus. Les formats compĂ©titifs pourraient ĂȘtre modifiĂ©s. Et les modĂšles Ă©conomiques drastiquement restreints.
Ironiquement, en essayant de se conformer aux attentes olympiques, l’esport risque de perdre l’authenticitĂ© qui a fait son succĂšs au dĂ©part.
Or, aujourdâhui, lâesport nâest pas en crise – il est en pleine ascension. Il remplit les stades, crĂ©e ses propres hĂ©ros et façonne la culture pop, le tout en imposant ses propres codes.
Les Jeux olympiques offrent peut-ĂȘtre du prestige mondial, mais lâesport attire dĂ©jĂ un public international. Quand les JO promettent des mĂ©dailles, lâesport, lui, cĂ©lĂšbre des titres qui ont du sens au sein de sa propre culture.
Alors faut-il vraiment intĂ©grer lâesport dans une institution centenaire, pensĂ©e pour un monde qui ne lui ressemble pas ?
Pourquoi chercher la lĂ©gitimitĂ© ailleurs⊠quand on lâa dĂ©jĂ construite soi-mĂȘme ?
Conclusion
Le ComitĂ© international olympique ne se trompe pas en reconnaissant la valeur de lâesport. Câest dans les jeux vidĂ©o que la nouvelle gĂ©nĂ©ration vit, crĂ©e et respire. Il est naturel de vouloir combler le vide. Mais cette alliance doit ĂȘtre construite avec soin, en respectant ce que lâesport est dĂ©jĂ devenu.
Lâesport nâa pas besoin des Jeux olympiques pour exister, ni pour ĂȘtre reconnu. Il lâa dĂ©jĂ prouvĂ©. Ă chaque arĂšne pleine, Ă chaque stream qui bat des records, Ă chaque finale qui fait vibrer la planĂšte.
Ce sont les joueurs, les fans et les communautĂ©s qui Ă©crivent lâhistoire. Et si les JO veulent les accompagner, sans les dĂ©naturer, alors ce sera une belle opportunitĂ©.
Mais sâil faut changer lâesport pour quâil se formate Ă la sausce Jeux Olympiques, alors le gaming s’y opposera. Lâesport peut continuer sans mĂ©daille, tant quâil avance avec sa libertĂ© intacte.
FAQ
MĂȘme si l’acceptation par le grand public prendra du temps, le lancement des premiers Jeux olympiques d’esport en 2027 laisse penser que l’inclusion complĂšte des esports aux Jeux olympiques est inĂ©vitable.
La liste complĂšte des jeux pour les Jeux olympiques d’esports n’a pas encore Ă©tĂ© confirmĂ©e. La simulation de course devrait ĂȘtre incluse aux cĂŽtĂ©s de titres potentiels de simulation sportive comme le tir Ă l’arc, le cyclisme, la danse et le tennis. Toutefois, l’absence de jeux compĂ©titifs populaires continue de susciter des inquiĂ©tudes au sein de la communautĂ© esport. EspĂ©rons que cela changera.
League of Legends n’est actuellement pas inclus dans les Jeux olympiques ou les Jeux olympiques d’esport de 2027, bien que des discussions soient en cours entre Riot Games et les dirigeants olympiques au sujet d’une future inclusion.
Dota 2 ne fait pas partie des Jeux olympiques, ni des initiatives comme les Jeux olympiques de lâesport, principalement en raison de son contenu jugĂ© trop violent et de lâabsence dâune instance internationale unifiĂ©e pour en encadrer la pratique. Cependant, le jeu a tout de mĂȘme Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme discipline mĂ©daillĂ©e lors des Jeux asiatiques.
Références
- https://www.olympics.com/en/esports/olympic-esports-week/ (Olympics)
- https://news.gallup.com/poll/647771/summer-olympics-poised-record-low-viewership.aspx (Gallup)
- https://escharts.com/news/2024-league-legends-worlds-record (Esports Charts)
- https://www.espn.com/gaming/story/_/id/30079945/dota-2-international-surpasses-40-million-prize-money (ESPN)